« Mon histoire, c’est l’histoire de la lutte d’une graine aux prises avec la terre rocailleuse et dure.«
Fadwa Touqan est née à Naplouse le 1er mars 1917. Ne ne lui ayant d’abord pas été donné d’étudier, Fadwa Tuqan s’est forgée d’elle-même avec l’aide de son frère Ibrahim Tuqan qui lui apprendra les rudiments de la poésie arabe. Les textes de Fadwa Tuqan, d’abord de forme traditionnelle puis plus libre, sont marqués par la mort prématurée de son frère et par les contraintes politiques et sociales. Sa poésie reflète différents angles de la vie palestinienne et retrace les sentiments personnels –tels que ses premiers recueils intitulés « Mon frere Ibrahim » (1948) et « Seule avec les jours » (1952)- puis devient plus patriotique dès 1967.
Fadwa Touqan a étudié l’anglais et la littérature anglaise à l’Université d’Oxford de 1962 à 1964 puis a voyagé en Europe. Touqan est considerée comme une des premières poétesses palestiniennes et a reçu de nombreux prix litteraires tels que le Prix International de Poésie à Palerme (Italie), le Prix Jérusalem pour la Culture et le Prix des Lettres par l’OLP en 1990, le Prix des Emirats Arabes Unis la même année ainsi que le Prix d’Honneur Palestinien pour la Poésie en 1996. Ses écrits incluent ses souvenirs d’enfance dans « Mountainous Journey » (1985), les poèmes « Self-Portrait » et « Martyrs of the Intifada » ainsi que les recueils « Donne-nous de l’amour » (en arabe, 1960), « Avant que la porte ne se ferme » (en arabe, 1967) et « Daily Nightmare » (traduit en anglais, 1988). Elle fut le sujet d’un documentaire filmé dirigé par la romancière Liana Badr en 1999 avant de mourir à Naplouse le 12 décembre 2003 suite à une attaque cérébrale. Son autobiographie en deux volumes a été traduite en français sous les titres : « Le Rocher et la peine » et « Le Cri de la Pierre ».
Oeuvres traduites
Le Rocher et la peine (Mémoires I), Paris, Langues et Mondes / L’Asiathèque, 1997 (ISBN 2-911053-30-3)
Le Cri de la pierre (Mémoires II), Paris, Langues et Mondes / L’Asiathèque, 1998 (ISBN 2-911053-31-1)
Les martyrs de l’Intifada
Ils ont tracé la route vers la vie
l’ont pavée de corail, de forces jeunes, d’agathe …
Ils ont levé leurs cœurs comme des pierres de braise,
des brûlots dans leurs mains et lapidé la bête du chemin.
Ils ont crié :
c’est le temps de se battre, lève-toi !
Leur voix a retenti aux oreilles du monde,
son écho a retenti aux oreilles du monde,
son écho s’est déployé jusqu’aux confins du monde.
C’est le temps de se battre , ils se sont battu, et ils sont
morts debout
astres scintillants
embrassant la vie sur la bouche.
Regarde-les au loin enlacer la mort pour exister encore …
S’élever jusqu’au plus haut devant les yeux de l’univers,
monter,
à leur sang encordé monter monter monter …
La mort traîtresse ne prendra pas leurs cœurs
car la résurrection, l’aube nouvelle, comme des songes les
accompagne sur le sentier du sacrifice.
Regarde-les, faucons, dans leur Intifada, ils attachent le
sol, la sainte patrie au ciel.
Traduit de l’arabe par Marianne Weiss www.aloufok.net
Article The Guardian décembre 2003
Fadwa Touqan, poète palestinienne qui a donné corps à l’expérience de deuil et de résistance de son peuple
Fadwa Touqan, poète palestinienne morte à l’âge de 86 ans, a su exprimer avec force l’expérience de deuil et de résistance de son peuple. Moshe Dayan, général de l’armée israélienne, comparait la lecture d’un poème de Fadwa Touqan à la sensation de se trouver face à 20 bataillons ennemis. Dans « Martyrs de l’Intifada » elle écrivait à propos des jeunes lanceurs de pierres :
« Ils sont morts debout, flamboyants sur la route,
Brillants comme les étoiles, leurs lèvres pressées sur les lèvres de la vie
Ils se tenaient debout à la face de la mort,
Puis disparurent comme le soleil. »
Cependant le véritable pouvoir de ses mots ne venait pas tant de ces images de combat, mais plutôt de l’affirmation de l’identité palestinienne et du rêve d’un retour.
Dans « L’appel du pays » (1954) elle décrit comment les lumières distantes de Jaffa attirent un réfugié vers la frontière, sachant qu’il y perdra la vie.
Dans une séquence plus douce, Tuqan se dépeint elle-même comme un lien dans la chaine de l’histoire :
« Je ne demande rien de plus
Que de mourir sur ma terre
De me fondre et m’unir à l’herbe
De donner vie à une fleur
Qu’un enfant de mon pays cueillera
Je ne demande qu’une chose
Rester dans le sein de ma terre
Dans le sol et l’herbe, comme une fleur… »
Fadwa Touqan était la sœur de ‘Ibrahim Touqan, poète, dramaturge et directeur de Radio Palestine, décédé en 1941 et dont les poèmes étaient devenus un cri de ralliement politique pour les Palestiniens durant la Grande Révolte contre le colonisateur britannique de 1933-37. Il a introduit sa jeune sœur à la poésie à travers les lettres qu’il lui écrivait de Beyrouth, où il était professeur. Fadwa est née à Naplouse peu de temps avant la déclaration Balfour, qui promettait une patrie aux Juifs d’Europe. Elle a reçu une éducation privilégiée, mais strictement comprimée dans les normes sociales de l’époque. Lorsqu’en 1948 des centaines de Palestiniens expulsés affluèrent à Naplouse, la ville endosse le rôle de pôle culturel des cités perdues de Jaffa, Haïfa et de Jérusalem Ouest. Paradoxalement cette catastrophe palestinienne, la « Nakba » et le décès, en 1948 également, de son père si sévère ont coïncidé pour elle à un sentiment de libération. Le système féodal s’écroule, soudain des jeunes femmes éduquées pouvaient librement côtoyer leurs jeunes partenaires masculins. « Lorsque le toit s’est effondré sur la Palestine, le voile qui cachait le visage des femmes de Naplouse est tombé » écrit-elle.
Inspirée par cet esprit dynamique, Fadwa Touqan poursuit ses publications débutées avec « Mon Frère Ibrahim » en 1946 et publie « Seule avec les Jours » en 1952, « Donne nous ton Amour » (1960) et « Devant la Porte Fermée » (1967). Ces poèmes retracent l’évolution de la conscience politique palestinienne : depuis la commotion, le désespoir et le sentiment d’être victimes d’une profonde injustice, à l’éveil de « summud » (la ténacité) la résistance et une nouvelle fierté.
Israël n’était cependant pas son seul adversaire. Elle ciblait aussi la société arabe elle-même, et en particulier le traitement des femmes. Dans son autobiographie (traduite en anglais sous le titre « Un Voyage Escarpé » 1990) elle décrit comment les femmes arabes demeurent cachées dans leur foyer comme des oiseaux effrayés dans une cage bondée.
Ses années d’étudiante à Oxford de 1962 à 64, où elle poursuit des études de langue et de littérature anglaise, représentent une échappée bienvenue loin des peines de l’Orient. Elle savoure la campagne anglaise, et décrit avec affection Londres, la « métropole âgée » où n’importe qui peut devenir anonyme – du moins pour un moment. Fadwa a beaucoup voyagé en Europe et au Proche Orient, empruntant des motifs de sa vie en exil et les mêlant avec des expressions audacieuses d’une volupté sans entraves.
Même lorsque ses poèmes sont inspirés de thèmes explicitement « non palestiniens » – comme par exemple « Visions of Henry » inspirées d’un tableau de Faulkner – ils évoquent immanquablement sa « patrie perdue « , ils traduisent le contraste entre l’échappée du présent et le « rocher noir » de la mémoire.
La poésie de Fadwa Touqan devient plus directement nationaliste après l’occupation et l’installation du pouvoir militaire israélien à Naplouse en 1967. L’occupation fournit une nouvelle actualité, le cauchemar des attentes aux passages des barrages militaires, l’ignominie des démolitions de maisons, et l’engagement pour l’éducation des jeunes enfants. Et ses poèmes expriment aussi jusqu’à ce jour l’absence de toute reconnaissance de liens de l’ennemi avec cette terre. La traduction de ses poèmes en anglais dans les années 1980 lui confère une renommée internationale. Des jeunes Arabes de nationalité américaine redécouvrent leurs racines en lisant son œuvre, des femmes juives israéliennes trouvent une résonance solidaire dans la voix de leur « sœur » à travers la « ligne verte ». Elle resta célibataire et n’a pas eu d’enfants.
De nombreux prix littéraires ont été décernés à Fadwa Touqan, d’Italie, de Grèce et de Jordanie ; elle a reçu le prix pour l’Art et la Culture de Jérusalem (Jérusalem Award) en 1990, elle a été membre du conseil d’administration de l’Université an-Najjah à Naplouse. Beaucoup d’Israéliens considéraient cependant ses analyses politiques comme regrettablement biaisées, et certains Palestiniens estimaient que ses critiques de la société arabe ne faisaient que reproduire les préjugés « orientalistes » des occidentaux.
En fin de compte Touqan restera dans les mémoires pour la puissance de son expression poétique. Salma Jayyusi disait d’elle qu’elle possédait « la maitrise de deux talents : l’amour et la peine ». Une femme qui a su préserver la mémoire de son peuple et exprimer ses aspirations.